L’éthique des procédures contentieuses au Canada dans l’ère de la COVID-19, Section 3
I have posted a new paper to SSRN, reflecting on the lessons of the pandemic for the Canadian legal system. It is to appear in a French-language collection edited by Jean-Bernard Auby. You can download the full paper here. In Section 3, I offer an ethical reflection on the Canadian response to the pandemic.
Section 3
Réflexion éthique
Dans cette section, nous entamons une discussion de la réflexion éthique implicite dans les réactions juridiques aux défis de la pandémie. Nous identifions dans un premier temps la célérité, la flexibilité et l’équité comme étant les piliers de cette réflexion au Canada. Dans un deuxième temps, nous constatons qu’il s’agit plutôt d’une réflexion réussie, mais nous reconnaissons qu’il y a lieu de développer un cadre analytique qui nous permettrions de gérer des conflits entre les concepts.
§ 1. Célérité, Flexibilité, Équité
La réponse du contentieux canadien à la crise sanitaire est caractérisée par la célérité, la flexibilité et l’équité. Pour ce qui est de la réflexion éthique canadienne en la matière, elle tourne autour de ces trois concepts.
A. Célérité
Les acteurs canadiens ont réagi avec célérité à l’arrivée de la COVID-19 et ses variants sur le sol du Canada. Dans un premier temps, les mesures nécessaires ont rapidement été mises en place afin d’éviter que des préjudices soient subis par les justiciables. Dans un deuxième temps, le système judiciaire, dans son ensemble, a veillé sur le bien-être physique des citoyens canadiens en reportant des procès qui seraient autrement devenus des sites de transmission du virus et en utilisant les outils technologiques pour siéger à distance, gardant la machine de la justice en marche sans pour autant compromettre la santé des justiciables et celle du grand public. Qui plus est, tout au long de la crise sanitaire, les instances législatives, exécutives et judiciaires ont changé leurs manières de faire lorsque nécessaire face à des vagues successives de la COVID-19. Le cadre législatif, exécutif et judiciaire développé afin de répondre à la crise sanitaire a assuré la célérité nécessaire.
B. Flexibilité
Au même titre, les acteurs dans le système judiciaire ont fait preuve de flexibilité. Les avocats – pas connus pour leur aptitude technologique – se sont mis à pratiquer le droit largement à distance, utilisant les documents électroniques et les audiences virtuelles afin de représenter leurs clients. Les juges également, souvent âgé et pas connu non plus pour leur aptitude technologique, se sont montrés extrêmement flexibles. Dans le domaine des tribunaux administratifs, favorisé par le législateur justement pour leur flexibilité[1], la réponse était tout à fait flexible et cela, sans surprise. Quant à la flexibilité, il faut préciser que ce concept est au cœur des grands principes procéduraux du système judiciaire canadien même avant l’arrivée de la COVID-19 au Canada. L’arrêt Hyrniak en droit civil a déjà vanté les mérites de la flexibilité. Bien que l’arrêt Jordan ait resserré les règles en matière de délai dans le domaine du droit criminel, il a néanmoins conservé une certaine discrétion pour ce qui est des évènements hors norme (tels qu’une pandémie). Quant au droit administratif, il suffit de mentionner l’adage de la Cour suprême à l’effet que les décideurs administratifs sont maîtres chez eux[2]. Bien sûr les avocats eux-mêmes ont toute la flexibilité nécessaire afin de bien servir les intérêts de leurs clients. Voici comment le système judiciaire canadien a pu faire preuve de flexibilité face à la pandémie.
C. Équité
Nous avons déjà constaté que la justice naturelle est un principe clé dans le système judiciaire canadien. Il l’était tout autant pendant la pandémie. S’assurer que les justiciables soient traités de manière équitable, tout en agissant avec célérité et en préservant la flexibilité, faisait partie intégrale de la réponse à la pandémie. Or, c’est justement sur le plan de l’équité que le système judiciaire canadien a eu ses plus importants défis dans l’ère de la COVID-19. Nous avons déjà vu comment des personnes vulnérables risquent d’avoir des difficultés à bien participer à des audiences virtuelles. Certes, les tribunaux, tant judiciaires qu’administratifs, ont consacré beaucoup de ressources à l’appui de personnes vulnérables. Néanmoins, un point d’interrogation accompagne l’équité des procédures mises en place. Il y a lieu, d’ailleurs, de s’interroger non seulement quant aux effets sur les justiciables, mais sur les décideurs aussi. Siéger de leur sous-sol, table de cuisine ou chalet peut plaire à certains, mais le contact humain manquera à d’autres. Dans tous les cas, nous attendons des études de terrain montrant les effets concrets de la pandémie tant sur les décideurs que sur les justiciables. Nous pouvons néanmoins penser que les résultats ne seront pas tout à fait positifs.
§ 2. Une appréciation de la réflexion éthique canadienne pandémique
A. Une réflexion réussie
Nous sommes d’avis que la réaction juridique canadienne à la pandémie a été largement une réussite. Spécifions d’emblée que les branches judiciaire, législative et exécutive se trouvaient sur la même longueur d’onde quant à la nécessité, dans un premier temps, de mettre en place des mesures sanitaires afin de protéger les justiciables et tous ceux qui travaillent au sein du système judiciaire et, dans un deuxième temps, de s’assurer que des délais créés par lesdites mesures ne priveraient personne de son droit de faire valoir ses moyens. À cet égard, et malgré quelques difficultés à la marge (comme avec le décret ministériel concernant la prescription que la Cour d’appel a interprété de façon circonscrite), les concepts de célérité, flexibilité et équité n’entraient pas en conflit.
B. Des conflits entre des concepts
Plus la
pandémie perdure, en revanche, plus les conflits entre les concepts prendront
forme. La flexibilité technologique, surtout, risque de ne pas toujours assurer
l’équité, dans la mesure où des justiciables agissant sans avocat n’ont pas
accès à des outils et expertises technologiques nécessaires afin de participer
pleinement aux audiences. Vue d’un autre angle, l’équité peut aussi
compromettre la flexibilité à un certain égard : le désir, surtout en
droit criminel, de respecter le droit de l’inculpé à un procès avec jury entraîne
des délais, et comme nous l’avons vu, des délais attribuables à la situation
sanitaire ne seront pas jugés déraisonnables. À cette n-ième vague de la
pandémie, nous attendons encore la vague de décisions sur les délais
raisonnables, et nous nous attendons à ce que les tribunaux de justice
répondent que des délais longs sont néanmoins raisonnables dans le contexte
d’une pandémie. En général, nous pouvons constater que le système judiciaire
canadien, vu dans son ensemble, a globalement favorisé la santé publique dans
ses réactions à la pandémie, et lorsqu’il y avait des conflits entre les
concepts, c’est la célérité et la flexibilité qui l’ont remporté face à
l’équité.
[1] Paul Daly, A Theory of Deference in Administrative Law,Les presses de l’Université de Cambridge, 2012, chapitre 2.
[2] Prassad c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 1 RCS 560 au pp. 568-569.
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