Le droit civil et le droit administratif canadien: Le législateur et le droit administratif
For context, see my introductory post. In this post I address the respective legislative styles of the civil law and common law legislature in matters of administrative law.
A. La loi sur la justice administrative
La pierre angulaire du système québécois du droit administratif s’avère la Loi sur la justice administrative.[1] Cette loi-cadre, qui balise l’exercice du pouvoir par l’administration publique au Québec, est clairement d’inspiration civiliste.
Elle se démarque dans un premier temps par des déclarations de principe général dont découlent par la suite des obligations plus détaillées.
Nous commençons avec une description de sa raison d’être dans le premier article de la Loi. Elle ne se trouve pas, notons, dans le préambule dont le poids interprétatif serait douteux, mais s’agit par contre d’une disposition ayant force de loi :
La présente loi a pour objet d’affirmer la spécificité de la justice administrative et d’en assurer la qualité, la célérité et l’accessibilité, de même que d’assurer le respect des droits fondamentaux des administrés.
Elle établit les règles générales de procédure applicables aux décisions individuelles prises à l’égard d’un administré. Ces règles de procédure diffèrent selon que les décisions sont prises dans l’exercice d’une fonction administrative ou d’une fonction juridictionnelle. Elles sont, s’il y a lieu, complétées par des règles particulières établies par la loi ou sous l’autorité de celle-ci.
La présente loi institue également le Tribunal administratif du Québec et le Conseil de la justice administrative.
Suit la déclaration générale suivante, à l’article 2 de la Loi :
Les procédures menant à une décision individuelle prise à l’égard d’un administré par l’Administration gouvernementale, en application des normes prescrites par la loi, sont conduites dans le respect du devoir d’agir équitablement.
Il s’agit là d’une déclaration imposant une obligation normative sur l’Administration gouvernementale, exigeant qu’elle respect le devoir d’agir équitablement en prenant des décisions qui concerne l’administré. Il y a donc un principe d’équité procédurale, imposée par le législateur, que doit respecter l’Administration gouvernementale.
Le législateur poursuit en donnant plus de spécification concernant ce principe général d’équité procédurale. Afin de le mettre en application, l’Administration gouvernementale doit, selon l’article 4, prendre les mesures appropriées pour s’assurer :
1° que les procédures sont conduites dans le respect des normes législatives et administratives, ainsi que des autres règles de droit applicables, suivant des règles simples, souples et sans formalisme et avec respect, prudence et célérité, conformément aux normes d’éthique et de discipline qui régissent ses agents, et selon les exigences de la bonne foi;
2° que l’administré a eu l’occasion de fournir les renseignements utiles à la prise de la décision et, le cas échéant, de compléter son dossier;
3° que les décisions sont prises avec diligence, qu’elles sont communiquées à l’administré concerné en termes clairs et concis et que les renseignements pour communiquer avec elle lui sont fournis;
4° que les directives à l’endroit des agents chargés de prendre la décision sont conformes aux principes et obligations prévus au présent chapitre et qu’elles peuvent être consultées par l’administré.
Dans le prochain article, l’article 5, nous rencontrons une nouvelle entité, « l’autorité administrative ». Sauf dans des circonstances exceptionnelles, celle-ci ne peut pas rendre une décision défavorable portant sur un permis ou une autre autorisation de même nature, sans au préalable :
1° avoir informé l’administré de son intention ainsi que des motifs sur lesquels celle-ci est fondée;
2° avoir informé celui-ci, le cas échéant, de la teneur des plaintes et oppositions qui le concernent;
3° lui avoir donné l’occasion de présenter ses observations et, s’il y a lieu, de produire des documents pour compléter son dossier.
Voici, si on veut, une spécification par le législateur de ce qu’exige le principe général d’équité procédurale en matière de décision défavorable concernant un permis ou une autorisation.
Le législateur se poursuit dans l’article 6 en spécifiant les exigences d’équité procédurale dans les circonstances où une autorité administrative s’apprête à prendre une décision défavorable en matière d’indemnité ou de prestation :
Elle est tenue de s’assurer que celui-ci a eu l’information appropriée pour communiquer avec elle et que son dossier contient les renseignements utiles à la prise de décision. Si elle constate que tel n’est pas le cas ou que le dossier est incomplet, elle retarde sa décision le temps nécessaire pour communiquer avec l’administré et lui donner l’occasion de fournir les renseignements ou les documents pertinents pour compléter son dossier.
Elle doit aussi, lorsqu’elle communique la décision, informer, le cas échéant, l’administré de son droit d’obtenir, dans le délai indiqué, que la décision soit révisée par l’autorité administrative.
Une fois une décision rendue, il y a la possibilité (tant dans le cas d’un permis ou une autorisation que dans le cas d’une indemnité ou d’une prestation) pour l’administré d’en demander la reconsidération par l’autorité administrative : article 7. Une décision défavorable doit être motivée et doit indiquer « les recours autres que judiciaires prévus par la loi, ainsi que les délais de recours » : article 8.
Voici donc un résume des obligations de l’administration gouvernementale, découlant de son devoir d’agir équitablement. Le tout est succinct et clair, énonçant de manière limpide les attentes du législateur en matière d’équité procédurale. Le principe est clair et les obligations qui en découlent le sont également, le législateur s’étant exprimé dans un langage que l’administré et les membres de l’administration gouvernementale peuvent comprendre. L’administré québécois n’a pas besoin d’un avocat pour expliquer les obligations de base de l’administration gouvernementale.
Dans le prochain chapitre de la Loi, le législateur s’adresse aux fonctions juridictionnelles, c’est-à-dire celles menées par « le Tribunal administratif du Québec ou par un autre organisme de l’ordre administratif chargé de trancher des litiges opposant un administré à une autorité administrative ou à une autorité décentralisée » : article 9.
Encore une fois, il y a un principe général, voir organisateur. Les procédures devant une telle instance doivent dérouler « de manière à permettre un débat loyal, dans le respect du devoir d’agir de façon impartiale » : article 9.
Et, encore une fois, le législateur spécifie plus en détail les exigences particulières de ce principe général.
Il faut que le décideur donne « aux parties l’occasion d’être entendues » : article 10. D’ailleurs, l’audience doit impérativement être tenue en public, sauf une audience à huis clos « est nécessaire pour préserver l’ordre public » : article 10.
Quant au déroulement de l’audience, le décideur en est le « maître », tout en menant « les débats avec souplesse et de façon à faire apparaître le droit et à en assurer la sanction » : article 11. C’est surtout à lui de décider « de la recevabilité des éléments et des moyens de preuve et il peut, à cette fin, suivre les règles ordinaires de la preuve en matière civile ».
Pourtant, quelques obligations procédurales sont prévues. Le décideur est tenu :
1° de prendre des mesures pour délimiter le débat et, s’il y a lieu, pour favoriser le rapprochement des parties;
2° de donner aux parties l’occasion de prouver les faits au soutien de leurs prétentions et d’en débattre;
3° si nécessaire, d’apporter à chacune des parties, lors de l’audience, un secours équitable et impartial;
4° de permettre à chacune des parties d’être assistée ou représentée par les personnes habilitées par la loi à cet effet.
Article 12.
Il doit également motiver sa décision par écrit :
Toute décision rendue par l’organisme doit être communiquée en termes clairs et concis aux parties et aux autres personnes indiquées dans la loi.
La décision terminant une affaire doit être écrite et motivée, même si elle a été portée oralement à la connaissance des parties.
Article 13.
Il ne peut pas recevoir une preuve « obtenue dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux et dont l’utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice » : article 11.
En voici un excellent exemple, en droit administratif, de la méthode civiliste.
B. Contraste avec les provinces de common law
En fait, le contraste avec les provinces de common law est frappant. Il n’y en a pas une qui impose sur l’Administration gouvernementale une obligation d’agir équitablement, d’autant moins une qui détaille les obligations qui en découlent. Le tout est laissé à la discrétion de l’Administration gouvernementale dans un premier temps, avec les tribunaux de justice capable d’intervenir après coup. L’attitude de la common law est que les tribunaux sont disponibles afin de supplier l’omission du législateur. Bien sûr, cela présuppose des administrés avec les ressources en termes de finances et temps de mener des causes devant les tribunaux. Il y a bien des causes dans lesquelles on aurait pu avoir évité des litiges si le législateur avait suivi l’exemple de l’Assemblée national de Québec.[2]
Pour ce qui est des fonctions juridictionnelles, le législateur a agi dans les provinces de common law, mais sans les énoncés de principe et la clarté du législateur québécois.
En Colombie britannique, la loi-cadre en matière de justice administrative est le Administrative Tribunals Act.[3] Aux fins de cette loi, une fonction juridictionnelle est exercée par un “tribunal to which some or all of the provisions of this Act are made applicable”.[4] Ceci est fait par le lieutenant Gouverneur en conseil. L’article donne tout simplement aux institutions couvertes par la loi la discrétion de faire “rules respecting practice and procedure to facilitate the just and timely resolution of the matters before [them]” et des “practice directives”.[5] Il y a même un pouvoir de s’octroyer d’autres pouvoirs un tribunal “to facilitate the just and timely resolution of an application” faire une ordonnance “in relation to any matter that the tribunal considers necessary for purposes of controlling its own proceedings”.[6] Quant aux obligations plus pointues concernant des témoins, la divulgation de documents et des suspensions,[7] il y a toujours une discrétion importante dans les mains du tribunal.[8]
La loi albertaine, quant à elle, rejoint plus l’esprit de la Loi sur la justice administrative.[9] Y sont énumérées des obligations concernant le préavis (article 3), la preuve (articles 4, 9), la contre-interrogation (article 5) et des décisions motivées et écrites (article 7). Les obligations y sont décrites de façon claire. À titre d’exemple, prenons la disposition relative au contre-interrogatoire :
When an authority has informed a party of facts or allegations and that party
(a) is entitled under section 4 to contradict or explain them, but
(b) will not have a fair opportunity of doing so without cross‑ examination of the person making the statements that constitute the facts or allegations,
the authority shall afford the party an opportunity of cross‑examination in the presence of the authority or of a person authorized to hear or take evidence for the authority.
Or, cette obligation ne découle pas d’un principe général. Contrairement à la Loi sur la justice administrative, l’objet des procédures n’est pas spécifié, le législateur n’exprime pas sa volonté concernant le déroulement des procédures, et tandis que le législateur québécois utilise une définition claire afin de déterminer l’étendue des obligations, la définition de son confrère albertain est excessivement prolixe (article 1).[10]
Il en est de même, voire encore pire, pour la loi-cadre ontarienne, soit la Loi sur l’exercice des compétences légales.[11] Celle-ci n’est pas rédigée d’une façon à faciliter sa lecture par une personne non instruite en droit. Par exemple, des dispositions complexes concernant la formation des comités décisionnelle se trouvent avant des dispositions identifiant les partis, le format de l’audience et le contenu du préavis. L’emplacement de cette dernière disposition a de quoi à surprendre : chronologiquement, elle est placée après une disposition concernant la divulgation de la preuve. Un lecteur raisonnable, pas un des instruits du droit administratif, pourrait bien se demander comment il serait possible de savoir quoi divulguer si on n’a pas encore de préavis concernant le différend à régler.
Par ailleurs, il est à noter que même quand le législateur dans les provinces de common law fait référence à des principes, il ne poursuit pas comme son homologue civiliste en spécifiant des obligations qui en découlent. À titre d’exemple, prenez la Loi de 2009 sur la responsabilisation et la gouvernance des tribunaux décisionnels et les nominations à ces tribunaux.[12] Nous y trouvons un énoncé de principe, soit que « Le processus de sélection pour la nomination des membres d’un tribunal décisionnel est un processus concurrentiel fondé sur le mérite » : l’article 14(1). Or, à part quelques critères très vagues qui doivent être pris en considération dans la nomination des membres, le législateur est muet sur la spécification de ce principe. Justement, son silence a contribué à une situation où le principe n’a pas valablement été mis en application par le gouvernement provincial.[13]
Bref, en Loi sur la justice administrative, nous trouvons un exemple phare de la méthode civiliste. Ses dispositions concernant le devoir d’agir équitablement n’ont pas d’équivalentes dans les provinces de common law. La population de ces dernières se trouve alors relativement appauvrie, sans un énoncé de principe que peut comprendre chaque fonctionnaire exerçant dans la province ni des obligations concrètes communiquant clairement aux administrés et à l’administration gouvernementale les attentes du législateur. Pour ce qui est la partie « fonctionne juridictionnelle » de la Loi sur la justice administrative, la méthode civiliste lui dote d’une clarté et une utilité qui dépasse les équivalentes dans d’autres provinces (qui, à certains égards, résiste à une analyse entreprise par quelqu’un autre qu’un avocat chevronné).
[1] RLRQ c J-3.
[2] Voir à titre d’exemple les controverses concernant l’application du devoir d’agir équitablement dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190; Canada (Procureur général) c. Mavi, 2011 CSC 30, [2011] 2 RCS 504.
[3] SBC 2004, c 45.
[4] ibid, s. 1.
[5] ibid, s. 13. Some practice directives, in relation to time limits, must be made but the tribunal “is not bound by its practice directives in the exercise of its powers or the performance of its duties” (s. 12(2)).
[6] ibid, s. 14(c).
[7] Ibid, ss. 34, 38, 39.
[8] ibid, ss. 34(3), 38(2), 39(2).
[9] Administrative Procedures and Jurisdiction Act, RSA 2000, c A-3.
[10] Voici la disposition en question, dont je vous en souhaite une bonne lecture :
(a) “authority” means a person authorized to exercise a statutory power;
…
(c) “statutory power” means an administrative, quasi‑judicial or judicial power conferred by statute, other than a power conferred on a court of record of civil or criminal jurisdiction or a power to make regulations, and for greater certainty, but without restricting the generality of the foregoing, includes a power
(i) to grant, suspend or revoke a charter or letters patent, (ii) to grant, renew, refuse, suspend or revoke a permission to do an act or thing that, but for the permission, would be unlawful, whether the permission is called a licence or permit or certificate or is in any other form, (iii) to declare or establish a status provided for under a statute for a person and to suspend or revoke that status, (iv) to approve or authorize the doing or omission by a person of an act or thing that, but for the approval or authorization, would be unlawful or unauthorized, (v) to declare or establish a right or duty of a person under a statute, whether in a dispute with another person or otherwise, or (vi) to make an order, decision, direction or finding prohibiting a person from doing an act or thing that, but for the order, decision, direction or finding, it would be lawful for the person to do, or any combination of those powers.
[11] LRO 1990, c S.22.
[12] LO 2009, c 33, ann 5.
[13] Paul Daly, “Administrative Tribunals in Canada: Constitutional Subordinates or Equal Partners?” in Matthew Groves, Greg Weeks and Stephen Thomson eds., Administrative Tribunals in the Common Law World (Hart Publishing, Oxford, 2024) 225, pp.235-236.
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