Le droit civil et le droit administratif canadien: La primauté moderne des principes en droit administratif
For context, see my introductory post. In this, the final post in the series, I address the possibility of a rapprochement between Canada’s common law and civil law approaches and suggest that the Vavilov decision can be seen as a ‘mini-Code’ of administrative law.
Bien que la différence entre les approches des civilistes et les common lawyers me semble avoir des racines profondes, il faut aussi convenir que les dernières décennies en droit administratif ont été marquées par un rapprochement entre les deux groupes, dont le point culminant est la décision de la Cour suprême du Canada dans Vavilov.
De prime abord, notons que les brefs de prérogative, autrefois la moelle épinière du système de contrôle judiciaire en common law, ont été marginalisés par des développements législatifs et judiciaires dans la deuxième moitié du 20e siècle.[1] En fait, afin de répondre à des difficultés engendrées par l’évolution incrémentale des brefs de prérogatives face à la croissance fulgurante de l’État providence avec ses nouvelles fonctions de gestion et de réglementation, le législateur est intervenu afin de remplacer les brefs de prérogatives par une simple demande de contrôle judiciaire. Prévues comme un guichet unique, une réponse de procédure à des problèmes de procédure, les conséquences se sont avérées très importantes. En même temps ou à tout le moins pendant la même période, les juges se sont chargés d’éliminer certains formalismes dus aux brefs de prérogative, comme par exemple la notion d’erreur de droit intrajuridictionnelle. Libérés des contraintes des brefs de prérogatives et de leur ancien cadre analytique, les cours de common law pouvaient dorénavant développer des principes généraux de contrôle judiciaire. Aux années 1960s et 1970s, les règles de justice naturelle se sont vues remplacées par le concept du devoir d’agir équitablement, dans une série d’actes normatifs unilatérale de la branche judiciaire. Aux fils des décennies suivantes, d’ailleurs, la notion de raisonnabilité, une création purement judiciaire, fut développée. Il s’ensuit, donc, que même si les décisions récentes dans Thales et Sharp témoignent de divergences fondamentales, on ne peut plus dire que la common law du contrôle judiciaire de l’action administrative est seulement tributaire des brefs de prérogative et une approche qui fixe sur les remèdes plutôt que sur les principes. Maintenant, le remplacement des brefs des prérogatives par des principes généraux a effectué un alignement important entre la mentalité civiliste et celle des common lawyers.
L’arrêt phare en matière de contrôle judiciaire – Vavilov – en témoigne de façon éloquente.[2] Certes, l’affaire Vavilov est un cas d’espèce. Après une décennie tumultueuse pendant laquelle la jurisprudence de la Cour suprême était critiquée de tous bords et de tous côtés, la Cour a décidé de repartir de zéro. Comme la majorité des juges l’ont expliqué dans Vavilov :
Puisque le présent pourvoi et les pourvois connexes impliquent un rajustement de la méthode à employer pour choisir la norme de contrôle ainsi qu’un éclaircissement de l’application appropriée de la norme de la décision raisonnable, il est nécessaire d’aborder brièvement la façon d’interpréter dorénavant la jurisprudence actuelle en droit administratif. Les présents motifs comportent une révision globale du cadre d’analyse qui sert à déterminer la norme de contrôle applicable. La cour de justice qui cherche à arrêter la norme de contrôle applicable dans une affaire dont elle est saisie devrait d’abord s’en remettre aux présents motifs pour savoir comment s’applique ce cadre général dans l’affaire en question. Il est ainsi possible que la cour soit appelée à trancher des questions subsidiaires à l’égard desquelles la jurisprudence continue de donner des indications utiles. En fait, une grande partie de la jurisprudence de notre Cour continue de s’appliquer essentiellement telle quelle : par exemple, les affaires portant sur des questions de droit générales d’importance capitale pour le système de justice dans son ensemble ou sur des questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs. Pour d’autres catégories de questions, certains arrêts, dont ceux portant sur l’effet des mécanismes d’appel prévus par la loi, sur des questions touchant « véritablement » à la compétence ou sur l’ancienne analyse contextuelle, auront forcément une valeur de précédent moindre. En ce qui concerne les arrêts qui établissent la manière dont il faut procéder au contrôle selon la norme de la décision raisonnable, ils garderont en général leur utilité, mais il convient d’y recourir prudemment et de faire en sorte que leur application cadre avec les principes énoncés dans les présents motifs.[3]
Je pense, bien que je connaisse quand même très bien la jurisprudence des pays de common law, que c’est du jamais vu. Il y a un contraste frappant avec l’arrêt Dunsmuir en 2008, ou la Cour suprême a cherché la continuité, déduisant de ses arrêts antérieurs un cadre analytique qui permettrait aux cours de justice d’exercer leur fonction de contrôler l’action administrative. Dans Vavilov, par contre, la validité de toute décision antérieure doit être mesurée contre le nouveau cadre analytique y développé.
Il ne serait pas inexact de dire que la Cour suprême a agi à titre de législateur dans Vavilov. Ne se sentant pas liée par le passé, elle a élaboré un nouveau cadre analytique pour mieux baliser le contrôle judiciaire au Canada. Notons, d’ailleurs, qu’elle s’est appuyée sur des principes afin d’y arriver. La première partie de l’arrêt, portant sur le choix de la norme de contrôle, se base sur le principe du choix d’organisation institutionnel du législateur. De ce principe découlent certaines règles, comme une présomption de déférence, le respect des normes de contrôle établies par le législateur et l’application des normes d’appel lorsque le législateur prévoit un droit d’appel. La deuxième partie de l’arrêt, portant notamment sur la norme de la raisonnabilité, prend pour assise le principe de « responsive justification » : la décision motivée est à la base de la légitimité de l’action administrative, une décision légale doit répondre aux éléments principaux du dossier, y compris la loi habilitante et les pratiques antérieures de l’Administration gouvernementale. Découlent encore une série d’obligations de répondre aux inquiétudes et intérêts des parties, d’appliquer les techniques de l’interprétation législatives, de prendre en considération la preuve au dossier et de justifier tout nouveau départ en matière de sa politique interne. Il n’est pas déplacé de constater que l’arrêt Vavilov fournit un Code pour le contrôle judiciaire : un texte cohérent, basé sur des principes généraux dont découlent des obligations concrètes.
C’était justement le fait que la majorité établissait un Code qui a provoqué des motifs concordants (écrits par deux common lawyers) fustigeant la démarche de la majorité : « Les motifs de la majorité font l’apologie de la norme de la décision correcte et sonnent le glas du principe de la déférence ».[4] Elles y ont vu une invitation de réduire l’autonomie des décideurs administratifs en les assujettissant à un cadre de contrôle plus strict. Pour elles, la simple existence d’un Code ébranle les fondements de notre système de droit administratif. J’en retiens que même si Vavilov marque un certain rapprochement entre les approches des civilistes et des common lawyers, les débats continueront.
[1] Pour plus de details, voir Paul Daly, Understanding Administrative Law in the Common Law World (Oxford University Press, 2021), chapitre 1.
[2] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653.
[3] ibid, au par. 143.
[4] ibid, au par. 201.
This content has been updated on June 14, 2024 at 12:41.